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#Nouveau narratifs

La bonne réponse à l’initiative de l’UDC

Andreas Müller

30. août 2022

La bonne réponse à l’initiative de l’UDC

Nos valeurs sont inscrites dans la Constitution. La neutralité n’y figure pas, le peuple ayant volontairement décidé de ne pas la citer dans l’article consacré aux buts de notre nation.

Ce texte a paru comme tribune libre dans le Tages-Anzeiger du 10 août 2022 en deux versions (papier et en ligne sur abonnement).

Il y a quelques semaines, Christoph Blocher a annoncé son initiative sur la neutralité. Depuis lors, les représentants de l’UDC invoquent leur mythe préféré: la neutralité perpétuelle et totale. Ils brocardent une élite qui dédaignerait la volonté populaire et foulerait aux pieds ladite neutralité. Les conseillers fédéraux et les têtes pensantes de tous les grands partis ont depuis lors donné force interviews, tenus des discours, en dernier lieu le 1er août. On y citait la démocratie, le compromis ou la cohésion – paroles sympathiques et pompeuses, qui sont souvent aussi vite oubliées qu’elles ont été prononcées. Il manque une solide histoire sur la neutralité.

Pourquoi en arrive-t-on là? De longue date, l’UDC a compris qu’en politique, arguments, paroles et chiffres ne font pas le poids face à une bonne histoire qui reste en mémoire. Ainsi, ce parti colporte ses histoires stratégiques sur l’îlot suisse, de manière sélective et marquée idéologiquement. Tous les autres réagissent en chœur et tentent de relativiser ce discours. Or, l’histoire est déjà ancrée dans les cerveaux des citoyennes et des citoyens. Pour contrer ces histoires et les mythes qu’elles charrient, ils s’offusquent en brandissant chiffres et arguments. En soi, ils parlent de la même histoire, débattent du même narratif. Et du coup, ils lui offrent un surcroît de publicité, une audience accrue.

Le narratif inverse est tout proche

On retrouvait le même schéma lors des débats sur l’initiative contre l’immigration de masse. Partisans et opposants discutaient en long, en large et en travers d’une densité de population soi-disant dangereusement élevée, thème imposé par l’UDC que les autres relativisaient. Cette densité démographique a été le fil rouge de toute la campagne de votation. Nous connaissons le résultat de cette consultation populaire.

Actuellement, bien que la votation soit encore bien loin, le débat sur la neutralité roule sur les mêmes rails. Roger Köppel et Christoph Blocher font mine d’avoir le monopole sur la vraie définition de la neutralité. On leur rétorque que les temps ont changé. Et on tente de porter aux nues une nouvelle «neutralité coopérative». Même si cet argument peut être juste et cette définition être utilisable par des politologues ou des juristes, sur le plan narratif, on a l’impression qu’il s’agit de défendre une nouveauté alors que l’UDC tient la «véritable» définition de la neutralité. Est-ce ainsi que l’on gagne une votation?

Pourtant, dans ce débat, un narratif spécifique est à portée de main. Depuis 1848, le peuple n’a jamais voulu voir autre chose dans la neutralité qu’un «moyen d’arriver à ses fins». C’est à dessein qu’elle n’a jamais été inscrite dans la Constitution ni en préambule, ni à l’article sur le but ou celui des objectifs de la politique étrangère, malgré les tentatives antagonistes de l’UDC.

Depuis 1848, la Constitution fédérale est le reflet de la volonté réelle du peuple. Chaque phrase a été approuvée par le peuple et beaucoup de propositions ont été refusées. Un patriotisme constitutionnel de bon aloi permet ainsi de contrer cette volonté présumée du peuple imaginée par l’UDC suivant ses penchants idéologiques. Car, oui, nous pouvons être fiers de notre Constitution qui, depuis plusieurs générations, reflète la volonté du peuple. Elle a permis à la Suisse d’être ce qu’elle est aujourd’hui: une nation issue d’une volonté politique de vivre ensemble, qui apprend et se développe sans cesse.

Dire non à l’initiative de l’UDC, c’est ainsi dire oui à la volonté populaire réellement exprimée. C’est dire oui aux valeurs rassemblées dans notre Constitution. Ces valeurs méritent notre patriotisme fondé sur cette Constitution. Le préambule de la Constitution fédérale fournit une réponse directe à l’initiative UDC: l’alliance est renouvelée «pour renforcer la liberté, la démocratie, l’indépendance et la paix dans un esprit de solidarité et d’ouverture au monde». Ne mettons pas à l’encan nos valeurs en nous arrêtant à nos frontières. C’est exactement pourquoi les démocraties doivent être défendues contre les autocraties et que, dès lors, les sanctions contre la Russie sont justes. Via la Constitution, le peuple a déjà fourni les arguments contre l’initiative de l’UDC. Mais il faut savoir le percevoir – et surtout vouloir le raconter.

Développée durant des générations

Le 1er août, conseillers fédéraux et leaders de partis se réfèrent à la démocratie, la diversité, la paix et l’unité, comme s’ils avaient inventé ces notions ou à tout le moins, qu’ils les mettaient eux-mêmes en exergue. Pourtant, ils auraient simplement pu et dû nous dire que nous nous sommes octroyé de notre propre chef ces valeurs et que nous avons inscrit la mission de les défendre dans la Constitution et son préambule. La Constitution exprime notre volonté commune, c’est l’œuvre de la population développée durant des générations depuis 1848; la Constitution, c’est nous tous.

Alors, cher Conseil fédéral, chers président:es de partis, faites un effort, racontez donc l’histoire de la Suisse en patriotes fiers de leur Constitution. N’abandonnez pas le narratif à l’UDC et à ses mythes.