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#Démocratie, #Nouveau narratifs, #Pluralisme

La démocratie en mode urgence

Team Pro Futuris*

24. mars 2022

La démocratie en mode urgence

Pour maîtriser les énormes défis du XXIe siècle, nous devons à tout prix retrouver notre aptitude à agir. Le nouveau Think + Do Tank Pro Futuris entend développer des formes de participation et de dialogue afin de renforcer la démocratie et la cohésion en Suisse.

La pandémie du coronavirus a poussé à la limite de leurs capacités les mécanismes politiques suisses et leur lenteur calibrée pour le consensus. Invoquant la loi sur les épidémies, le Conseil fédéral a déclaré il y a deux ans une «situation particulière» afin que la Suisse puisse traverser la crise sanitaire à coup d’ordonnances. Or, bien que la «situation particulière» ait entretemps été levée, nous ne sommes pas revenus à la normalité antérieure.

La guerre d’agression que mène Vladimir Poutine en Ukraine, la crise climatique et des changements fondamentaux au plan tant technologique que social sont des défis que nous serons bien en peine de relever. Mis à part de possibles évolutions épidémiologiques, la «situation particulière» sera le «nouveau normal».

Sous nos pieds, le sol bouge

En tant que collectivité, nous sommes plus que jamais appelés à élaborer des réponses communes aux défis communs auxquels nous sommes confrontés.

Primo, l’autoritarisme renaît et menace directement le monde démocratique libre. S’appuyant sur la propagation de fausses nouvelles, les dirigeants autoritaires tentent d’empoisonner le discours et la libre formation de l’opinion publique dans les démocraties. L’attaque brutale de l’Ukraine libre et souveraine par la Russie est une atteinte aux valeurs les plus fondamentales de la coexistence pacifique. Ainsi, nos valeurs essentielles sont assaillies sous nos yeux.

Deuxio, nous serons confrontés à la crise climatique et ses intempéries catastrophiques. Elles mettront en péril les chaînes de création de valeur et rendront de nombreux territoires de la planète inhabitables. Beaucoup d’entre nous reconnaissent le problème. Or ensemble, nous accélérons de manière irréfléchie le dérèglement climatique par notre façon de vivre, de produire et de consommer.

Tertio, la numérisation croissante a trois effets: beaucoup d’activités sont transférées vers des sphères numériques rarement réglementées; des algorithmes masqués nous guident; et des acteurs puissants nous surveillent. Parallèlement, nous voyons comment la numérisation entraîne des bouleversements économiques majeurs, alimente de nouvelles inégalités et remet en question l’efficacité de nos institutions sociopolitiques.

Les évolutions décrites n’ont rien de neuf et ne sont que trois exemples des immenses contraintes qui sont sur le point d’arriver. Ces développements sont constants, insidieux et nous incitent de ce fait à les rejeter, car nous les considérons comme non urgents. Le sol sous nos pieds bouge. Pourtant, nous demeurons tous quasiment enracinés sur place.

Démocratie en mode urgence

Au cours des vingt dernières années, l’aptitude de la Suisse à s’atteler à des tâches communes a fortement diminué. Nous laissons en jachère de vastes chantiers et avons été incapables de poser des jalons majeurs en matière de collaboration avec l’UE, de politique climatique ou de développement des assurances sociales et de la prévoyance vieillesse. Les compromis soigneusement ficelés trouvent moins de majorités qu’auparavant (source: GFS Bern). Nous ne sommes plus à même d’investir ensemble dans des projets à long terme et d’aboutir à des consensus.

Comme lors de la pandémie, la prise de conscience risque d’être tardive, voire inexistante. Ce n’est qu’au moment où l’alarme retentit et qu’il n’est plus possible de nier les dommages que nous passons en mode crise. Nous sommes alors contraints à réagir. Cette «démocratie en mode urgence» est très pernicieuse: nous avons de moins en moins de temps pour examiner ensemble et calmement les manières de faire face aux crises à venir.

La meilleure démocratie du monde?

Même en Suisse, on cherchera en vain la démocratie parfaite. Certes, nous pouvons nous prévaloir d’une longue tradition démocratique depuis la création de l’État confédéral en 1848. Mais les possibilités de participation demeurent limitées et souvent inutilisées.

À peine la moitié des Suissesses et des Suisses ayant le droit de vote participent aux votations et élections (source: Office fédéral de la statistique). Un petit tiers de la population n’a pas de droits politiques, jeunes et personnes sans passeport suisse compris. En fin de compte, ce sont ainsi moins d’un tiers, soit précisément 29,3% des résident:es du pays qui participent régulièrement aux décisions politiques. Une minorité plus réduite encore, soit moins de 10%, est activement engagée en politique (source: Office fédéral de la statistique).

Parallèlement à cela, la polarisation croissante risque de créer des clivages insurmontables qui mineront la culture suisse du compromis. La polarisation dépasse les bisbilles tactiques de la classe politique: en Suisse un nombre particulièrement élevé d’individus ont une aversion contre les gens professant d’autres opinions. Cette forme de polarisation dite affective est catastrophique dans une démocratie orientée vers le consensus. En effet, elle nous empêche de discuter ensemble. Et elle nous pousse à voter et à élire des représentant:es en fonction de notre appartenance à un groupe et non en fonction d’arguments politiques factuels. Or, plus la polarisation s’étend, plus il sera difficile de trouver des solutions constructives pour répondre à des défis complexes.

Retrouver notre capacité d’agir

Pro Futuris contribuera à renforcer la capacité d’action de la Suisse afin qu’elle sorte du mode urgence. Notre Think + Do Tank va réfléchir en amont et lancer des projets concrets visant à améliorer le dialogue et la participation. Nous travaillons actuellement sur trois axes:

 

  1. Pour contrer la polarisation et l’exaspération qui gangrènent les débats, nous créons des espaces novateurs ouverts aux échanges entre des personnes dont les points de vue sont antagonistes.
  2. Pour favoriser la participation, nous aménageons de nouveaux formats de participation permettant à tous les membres de la société de contribuer au processus démocratique en exposant leurs perspectives, leurs idées et leurs préférences.
  3. Pour faciliter l’émergence de narratifs inclusifs, nous levons le voile sur les clichés suisses aujourd’hui dominants qui visent clairement à nous démarquer de l’extérieur. Et nous développons de nouveaux récits plus ouverts.

Thinking and doing, penser et agir, cela va de pair à nos yeux. Nous identifions les lieux où des changements sociaux et institutionnels sont spécifiquement nécessaires. Dans le cadre d’expériences concrètes, nous testons les manières de faire avancer la démocratie suisse. Rattachés à la Société suisse d’utilité publique (SSUP), nous collaborons avec des partenaires issus des milieux scientifiques, économiques, politiques et de la société civile.

Nous ne travaillons pas en petit comité derrière des portes closes. Au contraire, nous partageons nos connaissances en permanence. En effet, l’unique moyen de progresser est de penser de concert et de manière ouverte.

*  Ce texte reflète l’avis du team Pro Futuris. Il a été écrit par Che Wagner et Ivo Scherrer.