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#Démocratie

La menace autocratique

Série: La Suisse face à la nouvelle guerre entre systèmes

Partie 1

Que nous le voulions ou pas, nous nous trouvons d’ores et déjà au beau milieu d’un nouvel affrontement global entre systèmes, qui oppose les autocraties et les démocraties.

Dans la première partie de cette série, nous examinons l’avancée globale des autocrates. La seconde partie est consacrée à la manière dont la Suisse pourrait réagir en ces circonstances.

 


 

Depuis une vingtaine d’années, les autocrates ont en général le vent en poupe. Selon les données de l’institut américain pour la démocratie Freedom House, 20% seulement de l’humanité vit dans des États libres. En 2005, la proportion s’élevait encore à 46% (Freedom House, 2021). Depuis l’an 2000, de nombreux soi-disant hommes forts ont pris le pouvoir.

Les autocrates marquent des points

Poutine en Russie, Xi Jinping en Chine, Maduro au Venezuela, Loukachenko en Biélorussie, Erdogan en Turquie, Modi en Inde, Bolsonaro au Brésil et Orban en Hongrie ont tous tenté d’asseoir leur pouvoir par la force. Ils écartent les instances législatives et judiciaires, s’emploient à museler les médias, stigmatisent les minorités ethniques et sexuelles, se posent en héros, rêvent de nouveaux empires et menacent leurs voisins (Rachman, 2022). L’attaque de l’Ukraine par les Russes représente l’aggravation brutale de l’emprise des despotes autoritaires.

Même dans des pays occidentaux pétris d’idéaux démocratiques, il est indéniable que ces dernières années, les tendances autocratiques n’ont cessé de gagner du terrain. Les forces autoritaires comme le FPÖ en Autriche, la Lega en Italie et les républicains autour de Trump aux USA, ont réussi à prendre les rênes du pouvoir. Ils s’attaquent aux principes démocratiques essentiels, tentent de mettre hors jeu la séparation des pouvoirs, dénigrent les minorités et montent le public contre leurs opposant:es (Freedom House, 2021). En France, avant le second tour des élections présidentielles qui a vu le sortant Emmanuel Macron l’emporter, il a même semblé possible, selon certains sondages, que la candidate d’extrême-droite Marine Le Pen gagne.

Grafik Autokratie Freedomhouse

Comment les intervenants autocratiques sapent la démocratie. (Freedomhouse, 2021)

Une nouvelle guerre des systèmes

Après la chute de l’Union soviétique et la fin de la guerre froide, un espoir était né: celui de voir les conflits géopolitiques cesser et la démocratie ainsi que l’économie de marché s’imposer sans coup férir. Le contraire est arrivé: les démocraties sont devenues plus fragiles et les autocrates combattent les libertés partout où ils le peuvent. Trente ans après la fin de la guerre froide, le monde est à nouveau pris dans une guerre des systèmes.

En effet, les démocraties pleinement opérationnelles et les sociétés libérales représentent un danger pour les autocrates du monde entier. Notre liberté menace leur pouvoir. Notre autonomie montre aux individus qui vivent sous le joug du despotisme qu’il existe d’autres manières de vivre ensemble (Applebaum, 2021). D’où l’intérêt des autocrates à déstabiliser les États libres.

Les autocrates exercent leur influence jusqu’au cœur des démocraties en place: la Russie par exemple, soutient depuis de nombreuses années les partis d’extrême-droite européens avec son savoir-faire et ses finances. Le parti français «Rassemblement National» de Le Pen rembourse aujourd’hui encore un prêt russe contracté en 2015 (Bidder, 2017, NewLines, 2022; Kauffmann 2022). Les autocrates essayent en outre d’envenimer activement les débats et, de la sorte, d’influencer le résultat d’élections en fonction de leurs intérêts (cf. Guardian, 2022). À cet effet, ils montent les diverses composantes d’une population les unes contre les autres en ciblant certains groupes pour répandre des messages attisant la polarisation ((Ribiero et al, 2019).

Les autocrates n’hésitent guère à user de violence sur les terres des États démocratiques, ni à poursuivre hors de leur frontières dissident:es et opposant:es. Depuis 2014, Freedom House (2021) a documenté plusieurs centaines de cas où des États autoritaires – en premier lieu la Chine, la Turquie, la Russie, l’Arabie Saoudite, l’Iran et le Rwanda – ont menacé physiquement des membres de leur diaspora et, dans certains cas, les ont tués.

Même si les autocrates ne souscrivent pas à des idéologies similaires, ils sont unis dans leur combat contre les forces démocratiques. Ils se soutiennent mutuellement – diplomatiquement, militairement et financièrement (Applebaum 2021). Il n’est ainsi guère étonnant de voir la plupart des pays autocratiques unis derrière les Russes sur la question de l’Ukraine: Corée du Nord, Chine, Myanmar, Iran, Syrie, Biélorussie, Cuba et Venezuela n’ont pas condamné l’attaque de Poutine (Economist, 2022). 

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La réaction des gouvernements à l’attaque russe contre l’Ukraine. (Economist 2022)

Les attaques dirigées contre les démocraties ne sont pas des cas isolés, ce sont des démarches systémiques. Le renforcement des alliances entre autocrates est un danger pour tous ceux qui croient à la coopération, au dialogue et à la dignité humaine

L’impact du système doctrinal est culturel

L’antagonisme entre les démocraties et les autocraties n’est pas qu’une forme de concurrence entre deux types d’organisations politiques. Cela porte bien au-delà des élections et de la séparation des pouvoirs. Il s’agit d’une manière de vivre, de se comporter.

Pour asseoir leur puissance, les autocrates ambitionnent de museler les discussions franches et les occasions de former librement ses opinions. Ils tentent de tuer dans l’œuf la pensée autonome, mettent en laisse scientifiques et journalistes, interdisent des associations et diffament les dissidents (cf. aussi Synder, 2016). Une fois l’espace public ainsi asséché, l’individu est seul et sans défense face à l’autorité.

Les autocrates n’acceptent pas la contradiction et ils matraquent la résistance. L’individu isolé n’a pas de droits ni de dignité. Les autocrates entretiennent une relation fictive avec le peuple, se font passer pour une réincarnation de la collectivité. Le peuple est alors rabaissé au rang de figurant, il devient, comme le disait wie Umberto Eco en 1995 «une fiction théâtrale».

Afin de légitimer leur emprise, ils invoquent une crise permanente – un complot ourdi par des pouvoirs occultes à l’intérieur et à l’extérieur du pays – et sèment ainsi méfiance, peurs et terreur (cf. aussi  Arendt, 1951). Les dangers qui menacent hypothétiquement la nation servent à propager un narratif de l’impossible alternative: «Je suis le seul qui puisse vous sauver». Ainsi, une société perd le sentiment qu’elle est en mesure de prendre elle-même son avenir en main (Synder, 2018). Dans les pays autocratiques, on constate souvent l’apparition d’une forme de culture sadomasochiste marquée par l’exercice du pouvoir et de la violence. Dans une structure de pouvoir autocratique, tous subissent des coups et reçoivent des ordres des sphères supérieures; chacun les propage à ses subalternes (Fromm, 1941).

Dans tous les régimes autocratiques, la population civile paie le prix fort. Elle est ignorée politiquement des détenteurs de l’autorité, elle est larguée économiquement et si elle s’avise de résister, elle est écrasée. Lorsque les choses se gâtent, elle sert de chair à canon pour entretenir les rêves impériaux ou doit s’enfuir pour échapper aux horreurs de la guerre.

Le meilleur moyen de contrer la violence autoritaire est de renforcer la culture démocratique. Dans les démocraties, il n’est guère d’espace pour exercer un pouvoir sans partage ou un monopole d’interprétation. Les démocraties vivent de la diversité et de l’ouverture. Du désir de progresser ensemble. Du débat pacifique permanent sur les meilleures réponses aux questions les plus urgentes. Les démocraties vivent de l’exigence de donner une voix à tous et sont donc intrinsèquement vivantes et subversives.

 


 

Restez avec nous: ceci n’est que la première partie d’un article dont la seconde est consacrée à une question: que signifie pour la Suisse le renforcement des autocrates?

 


 

Photo de titre : Manifestation à Minsk (Biélorussie), 30 août 2020. Source: Unsplash/Andrew Keymaster