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Série: La Suisse face à la nouvelle guerre entre systèmes

Partie 2

Dans le monde entier, les autocrates ont le vent en poupe et menacent la démocratie. Qu’est-ce que cela signifie pour la Suisse? Quel rôle notre pays peut-il (et devrait-il) jouer dans cette nouvelle guerre entre systèmes?

Dans la première partie de cette série, nous avons examiné l’avancée mondiale des autocrates. La seconde partie est consacrée à la manière dont la Suisse pourrait réagir en ces circonstances.

 


 

Les attaques autoritaires contre les démocraties du monde entier représentent une menace pour la Suisse également. Selon l’article 54 de notre Constitution, les principes fondamentaux de la politique extérieure helvétique englobent la promotion de la démocratie, de la paix et des droits humains dans le monde entier.

Concrètement, comment pouvons-nous défendre ces principes? Quelle responsabilité la Suisse doit-elle (et peut-elle assumer) dans la nouvelle guerre entre les systèmes démocratiques et autocratiques?

En ce moment, le discours public tourne beaucoup autour des questions liées à l’énergie et à la sécurité. Les sanctions énergétiques suisses ainsi que le débat sur la participation à une nouvelle architecture de sécurité européenne sont judicieux et justes pour répondre à la guerre d’agression menée par la Russie.

En même temps, la question se pose de savoir dans quels domaines la Suisse pourrait déployer un plus grand effet de levier à moyen terme. Notre pays dispose d’une force d’impact potentielle à plusieurs titres: un refuge global et sûr; une place financière; un lieu de négoce pour les matières premières; l’une des démocraties les plus anciennes du monde.

Assumer la responsabilité globale de la Suisse

La Suisse est une société prospère et qui a des connexions dans le monde entier. Elle a donc une responsabilité particulière de soutenir les personnes vulnérables et persécutées. En suivant cette approche, nous devrions premièrement accueillir les personnes en fuite aussi généreusement que possible, qu’elles proviennent de l’Ukraine ou d’autres pays où les gens fuient la violence et l’oppression. En effet, les réfugiés de Syrie, d’Afghanistan ou du Yémen ont tout autant besoin de notre protection que les réfugiés ukrainiens. Deuxièmement, la Suisse pourrait se positionner comme une zone de repli pour les dissident:es et les scientifiques particulièrement exposés. Elle deviendrait ainsi un lieu d’exil pour les intellectuel:les biélorusses, chinois, iraniens ou encore russes. Par exemple, on pourrait envisager la création d’une université russe en exil. Au XIXe et au début du XXe siècle, la Suisse a déjà été une oasis libérale accueillant des penseurs persécutés. Nous pourrions renouer avec cette tradition.

Nous ne pourrons aider efficacement les plus vulnérables qu’à la condition de ne pas continuer à courtiser indirectement leurs oppresseurs. Notre place financière et de négoce des matières premières ne doit pas servir d’outil permettant l’enrichissement et le financement des guerres menées par des autocrates. On le sait: 80% du commerce russe des matières premières passe par la Suisse. Des Pandora Papers aux Suisse Secrets, plusieurs investigations ont révélé que des fonds qui auraient dû être déclarés dans d’autres pays continuent d’être blanchis en Suisse. Pour soutenir efficacement les démocraties, nous ne devons pas les priver de leurs moyens de subsistance.

L’attaque russe menée contre l’Ukraine montre également que les autocrates n’hésitent pas à utiliser notre dépendance comme instrument de pouvoir. Pour faire nos preuves à moyen terme, nous devrons remettre en question nos liens économiques: voulons-nous céder des grandes entreprises à des compagnies proches du gouvernement chinois? Acceptons-nous de continuer à dépenser plus de 10 milliards de francs suisses par an pour importer des combustibles fossiles (OFEN, 2021) et remplir ainsi les caisses des dirigeants autocratiques du Venezuela, de la Russie, de l’Arabie saoudite ou de l’Iran? Si nous prenons au sérieux la lutte pour la démocratie, nous devrions également être prêts à en assumer les coûts économiques.

Améliorer notre système démocratique de manière autocritique

La montée en puissance des autocrates nous interroge sur le rôle que la Suisse doit assumer à l’échelle mondiale, mais pas seulement. Comme toutes les autres démocraties, nous sommes aussi appelés à améliorer notre système démocratique. De fait, une démocratie vivante est la meilleure défense contre les tentations autoritaires. En Suisse aussi!

Pour améliorer la démocratie en Suisse, nous devons réformer de toute urgence notre politique d’État. En effet, aujourd’hui encore, de nombreuses personnes en Suisse sont totalement exclues des décisions démocratiques. Et beaucoup de celles qui pourraient participer ne le font pas. En parallèle, la polarisation croissante risque d’empoisonner un dialogue constructif et controversé (vous trouverez notre résumé de la polarisation en Suisse ici). En Suisse également, nous devons réapprendre à agir ensemble et à nous attaquer à des réformes qui sont restées trop longtemps en plan (notre analyse sur la démocratie en mode d’urgence est disponible ici).

Contrairement à d’autres démocraties, la Suisse – l’un des pays les plus riches du monde – ne dispose pas seulement des ressources nécessaires à cet effet, elle peut aussi s’appuyer sur une riche expérience démocratique. Nous sommes en mesure de développer de nouvelles infrastructures démocratiques dans un contexte où la participation active est déjà vécue au quotidien par de nombreuses personnes.

Plusieurs innovations démocratiques sont envisageables: des panels de citoyen:nes; des formats participatifs pour intégrer des groupes marginalisés; des formats de dialogue orientés vers des solutions; dissocier le droit de vote démocratique de la possession d’un passeport suisse.

Si nous voulons développer sérieusement notre démocratie, ces changements seront de grands chantiers politiques. En effet, en créant des formes de participation et en invitant de nouvelles personnes à les utiliser, il s’agit toujours de redistribuer le pouvoir. Améliorer la participation démocratique grâce à de nouveaux formats de dialogue et de délibération, élargir le corps électoral suisse: voilà un projet générationnel. Pourtant, cela est nécessaire, car c’est la seule manière de garantir que nous chercherons ensemble les meilleures réponses à nos problèmes communs.

Par de nouvelles formes de participation démocratique, nous renforcerons la culture démocratique. Nous accorderons à notre démocratie un espace de respiration. Et nous préviendrons les tentations autoritaires. La Suisse possède une situation exceptionnellement privilégiée pour expérimenter de nouvelles formes de démocratie. Nous ne devrions pas nous contenter de les suivre comme des projets «nice to have», mais plutôt les considérer sérieusement et comme faisant partie de nos responsabilités.

Devenir actifs

Avec l’attaque russe contre l’Ukraine, la guerre entre les systèmes démocratiques et autocratiques est devenue visible pour tous. On ne peut plus l’éviter. La Suisse est en plein dedans. Si nous voulons que les démocraties continuent à exister au XXIe siècle, nous devons apporter une contribution active. Il ne suffit plus de réagir seulement en cas d’urgence. Nous devons investir dans la démocratie et assumer nos responsabilités globales. La démocratie le mérite.

 


 

Pour en savoir plus: il s’agit de la seconde partie d’une série en deux parties. La première partie est consacrée aux raisons de la menace autocratique.